samedi 29 avril 1995

Une femme garde l'Armée d'Afrique en mouvement

Il suffit de savoir que le 2è régiment étranger d'infanterie basé à Nîmes convie la population à la fête traditionnelle de la Légion étrangère française pour qu'aussitôt l'imaginaire s'envole vers les sables chauds qu'ils soient du Mexique (Camerone) ou d'ailleurs.

Le passé colonial français, étouffé par certains, magnifié par d'autres, est finalement fort peu illustré. Une artiste peintre, Josette Spiaggia, née à Alger, a choisi d'en glorifier une partie, entre déchirure et vrai talent.

Déchirure parce que Josette, comme ses compatriotes "Pieds-noirs", a dû se décider en 1962 à abandonner sa terre natale.

Déchirure aussi, parce qu'elle a de grandes difficultés à faire accepter et reconnaître son style, qualifié de "Peinture de l'Armée d'Afrique et orientalisme civil".

Talent certain, parce que délaissant la trop pâle rigueur militaire elle peint des uniformes chamarés, des hommes pleins de caractère, sur des destriers arabes ou des chameaux écumants qui évoluent sous des ciels bleus immenses, au milieu d'un mélange de poussière et de lumière.

Plus doux, mais tout aussi pleins de senteurs, des tableaux de femmes couleur miel, ou de monuments tout empreints de l'influence turque, égrennent leur nostalgie de moments trop fugaces.

Le souvenir au bout des pinceaux

Ce n'est pas le prestige de l'uniforme que l'on ironise devoir marquer les femmes qui traça la voie de Josette, mais bien celui des hommes qui le portaient. La petite fille qu'elle était lors de la première guerre mondiale se souvient avoir ouvert les yeux sur le monde face à des soldats. Français ou même américains, ils l'ont marquée à jamais car c'est d'eux que venaient les bonbons, les jouets, l'affection.

"A eux nous tendions les bras, alors que dans les abris, les civils nous marchaient dessus sans ménagements". L'armée continuera d'assurer la protection de Josette lorsque, toute jeune institutrice, de 58 à 62, elle enseignera dans des postes isolés où l'armée rassemblait des rapatriés.

Des classes nombreuses, mais un vrai contact avec la population, la terre et la force de l'Algérie. C'est là que l'artiste a emmagasiné tout ce qui aujourd'hui est l'inspiration de l'habitante du Mas du Félibre, à Saint-Gilles.

Forte de ses capacités artistiques développées dès 11 ans à l'école nationale des Beaux-Arts d'Alger, sous la houlette de maîtres issus de la prestigieuse Villa Abd El Tif (l'équivalent du Prix de Rome), celle qui fait déjà reconnaître son talent à 13 ans avec un premier prix de dessin, va couvrir de croquis de nombreux carnets.

A cette époque, elle n'a pas beaucoup de moyens et se déplace en permanence sur le terrain.

L'huile ne lui convenant pas par tempérament (passionnée et pressée quand elle peint, elle trouve que les couleurs ne sèchent pas assez rapidement), elle développera donc ses capacités par l'acrylique et les pastels.

Arrivée en France, militant au sein de nombreuses associations de rapatriés, elle n'en oubliera pas pour autant "ces moments authentiques, cette dynamique orientale, militaire et coloniale apportée par tant d'hommes et de femmes qui ont tout donné et tout perdu, parce qu'ils y croyaient..".

Elle, se souvient toujours, et laisse à ses pinceaux le soin de transformer son souvenir en allégorie.


Josette Spiaggia participera du 2 au 9 mai 1995 à l'exposition de Carré d'Art "La France dans la deuxième guerre Mondiale", une façon supplémentaire de rappeler que l'Armée d'Afrique a pris une part importante dans les combats de ce conflit et qu'elle a chèrement payé sa participation à la libération de l'Italie et de la Provence. (Photo José Muñoz)

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